LA 55e DIVISION EN ARTOIS …...vécu par le soldat José GERMAIN

 

automne 1915

 

...Avec l'été agonisant, l'espoir ressurgit en Artois. On nous promit la grande délivrance pour l'automne. Les généraux Foch et d'Urbal multiplièrent les annonces d'une préparation foudroyante et formidable. Six jours durant, l'artillerie tonnerait.

 

Nous restions toutefois sceptiques. Pourquoi parler ouvertement d'une offensive qu'on avait tout intérêt à dissimuler si l'on voulait réussir. Les plus fins pensaient même qu'on en parlait trop pour qu'elle eût vraiment lieu.

Les leçons du 9 mai et du 18 juin avaient péremptoirement montré l'immense valeur de la surprise. Or, les Allemands étaient passés maîtres dans l'art de réaliser des prisonniers au bon moment et de les « cuisiner » utilement. Nos relèves s'en ressentaient.

 

Bientôt, nos travaux d'approche s'en ressentirent plus encore. L'ennemi devinait, se doutait, était prévenu. Les piocheurs et pelleteurs chaque nuit étaient dérangés par des patrouilles vigilantes. La pluie, adversaire invaincu et invincible, fit enfin son apparition : les ouvrages d'argile s'effondrèrent.

Il y eut bien une longue préparation d'artillerie de six jours et six nuits ; mais les calibres étaient trop faibles.

Nos 75 se livraient à un labour léger du sol : aucun abri allemand n'était certainement atteint. Les fils de fer de la première ligne nous narguaient encore quand, le 25 septembre, parvint l'ordre d'attaque.

Un temps effroyable, comme le hasard ou l'état-major devait nous en réserver pour tant d'affaires dans la suite : le bas ciel d'Artois avait revêtu sa plus grise robe, et l'âme de nos gens était sympathiquement à son image.

 

Des troupes fatiguées, vieillies, renforcées d'éléments malades ou mal rétablis, furent précipitées sur Souchez et les contre-pentes du grand ravin des Écouloirs. A gauche de l'attaque, le but à atteindre: Givenchy ; au centre : les cotes 119 et 140; à droite : le bois de La Folie. (74°,121e régiments d'infanterie)

 

Mais l'Allemand veillait.

Artillerie lourde et mitrailleuses entrèrent en danse et, sur toute la ligne, l'attaque fut repoussée.

Sous la pluie battante de fer et d'eau, les assaillants furent écrasés, Ils rentrèrent dans leurs lignes où ils dormirent parmi la boue de sang. On recommença le 26 et, après un essai infructueux. Souchez fut enfin et définitivement pris par la 77e division d'infanterie.

 

Mais la pluie s'acharnait : les pentes des cotes 119 et 140 devenaient patinoires.

 L'ordre fut cependant donné, le 27, de les enlever.

Chasseurs alpins (1e,3e et 10e bataillon ) et  fantassins tentèrent l'impossible.

L'impossible resta impossible : les deux hauteurs tinrent bon, seul le nombre des morts s'accrut. L'optimisme était réduit à néant parmi nous et lorsque l'aube du 28, plus sale, plus mouillée, plus noire encore que ses sœurs aînées, nous lança à l'assaut, personne n'espérait plus la victoire. La 55e division d'infanterie, par dessus les cadavres alignés des trois vagues d'assaut écrasées les jours précédents, s'éleva vers la cote 119.

 

Les Allemands, tournés au nord par le 21e Corps d'Armée, se livraient justement à une fausse manœuvre. Surpris, ils permirent aux fantassins du 231° régiment d'infanterie, du 246e et du 282e, d'être à midi dans « Hambourg »

Une halte horaire sous la voûte des obus de tous calibres, et la vague française, poussée par le succès, irrésistiblement, s'éleva jusqu'à la fameuse tranchée d'Odin qui couronnait la cote 140.

A droite, (74° régiment d'infanterie) nos gens parvenaient jusqu'aux vergers de La Folie ; à gauche, ils bordaient Givenchy. Mais, ni le bois, ni le village ne purent être enlevés. La crête, la fameuse crête où se profilait le saillant de la Légion, près du chemin de Neuville à Givenchy, n'était pas atteinte.

 

Une quatrième offensive fut décidée. Toutes les troupes du secteur devaient y participer.

Fatiguées, déprimées, à peine ranimées par une demi-victoire, soutenues par une artillerie elle-même lasse, aux pièces usées, aux dépôts presque vides, elles partirent encore en avant, avec le désir d'arriver, une fois pour toutes, à cette crête qui hantait l'imagination et fascinait les yeux depuis le 9 mai.

Hélas, le 11 octobre devait strictement rappeler le 18 juin. Ces retours d'action ne valent jamais rien. Ils trouvent toujours un adversaire en éveil, bien abrité, bien protégé, l'oeil au guet.

Ni les chsseurs, ni les 77e et 55e divisions d'infanterie ne purent parvenir jusqu'à la ligne allemande.

 Les Maxims firent merveille et fauchèrent nos rangs. Des champs nouveaux passèrent de la teinte verte à la teinte bleu horizon. Le carnage de 1915 s'achevait en apothéose. A quelques mètres du but, notre patient effort de cinq mois échouait.

La justice immanente des Armées décida-t-elle alors de nous punir de notre glorieux échec ; toujours est-il que le martyre des troupes d'Artois s'aggrava d'un supplice nouveau: celui de la boue.

Sur un secteur ruiné, dévasté, retourné de toutes manières, le ciel ne cessa de verser des torrents d'eau. L'argile fendillée s'écroula. En moins de huit jours, il n'y eut plus un boyau, plus une tranchée. Les abris s'effondraient sur leurs occupants angoissés. L'enlisement sévissait. Des cris la nuit, puis plus rien : un homme venait de s'enterrer vivant. Aucun secours possible. Le sauveteur s'engluait avec l'homme pris au piège de la terre vengeresse.

« Kiel » et « Krupp » n'étaient plus que des torrents de boue épaisse. On se réfugiait au fortin de Givenchy et dans trois cavernes qui avaient jusqu'alors résisté et menaçaient de toutes parts de s'effondrer.

Les hommes n'étaient plus que de grelottantes statues de glaise; et comme les Allemands, en face, avaient pris, bien malgré eux, le même uniforme, les deux ennemis, à découvert sur le bled marécageux, décidaient tacitement une trêve des coups de fusil. Contre l'adversaire commun, cruel jusqu'à l'inexorable, les deux champions du drame universel, un instant, semblaient se réconcilier.La mort n'avait plus besoin des balles pour achever des divisions squelettiques : le froid, la fatigue et la terre spongieuse suffisaient. Et c'est alors que fut tiré le bouquet du feu d'artifice. On inaugura la guerre de mines.

Des escouades et des sections entières sautèrent de part et d'autre sans le moindre profit. Les entonnoirs jouèrent le rôle d'arènes de mort.

Rien ne nous intéressait plus, sinon les potins de cuisine. Une pensée nous obsédait, soutenait notre énergie le jour, troublait notre nuit : partir.

On vit pour j'en aller, disaient les fantassins résignés. Mais trop de « tuyaux » faux avaient crevé personne ne croyait plus un tel bonheur possible

 

Brusquement, un train nous ramena vers l'Aisne paradisiaque d'où, au 8 mai, nous étions partis confiants, nourris d'espoirs, courage au vent, soleil au coeur et sur la tête.

Beaux rayons de mai, où étiez-vous?

Cette année 1915, nous avait plus vieillis que toute notre existence. L'Artois devait rester le cauchemar de notre campagne.

 

Ni la Champagne, ni Verdun ne purent nous faire oublier le plateau où 100000 Français reposent, où notre division perdit plus que son effectif, le bois de La Folie où l'artillerie allemande s'affola parmi 6000 cadavres des siens, le plateau, champ clos de glaise, de marne et de craie, où, entre trois murailles de collines, s'affrontèrent sept mois durant, sans résultats décisifs, les armées de Foch et de Rupprecht von Bayern.

 

José GERMAIN